«Nous assistons à la naissance d’une littérature urbaine qui est assez importante pour le continent africain»

by SÉNÉGAL ÑOO FAR

Dans la dernière partie de l’entretien qu’il a accordé à Sud Quotidien, le journaliste-écrivain guinéen Mohamed Salifou Keïta évoque la littérature africaine. L’expert en communication stratégique estime qu’elle se porte bien avec notamment la naissance de la littérature urbaine.

Comment se porte, aujourd’hui, la littérature africaine ?

Je pense que la littérature africaine se porte très bien avec l’émergence de jeunes qui écrivent des livres fabuleux. Mais en amont, il y a cette littérature des slameurs, des poètes de la cité. Nous assistons aussi à la naissance d’une littérature urbaine qui est assez importante. Il y a beaucoup de livres qui se publient par ci, par là parce qu’il y a l’existence de plusieurs maisons d’édition. Je suis un adepte de l’usage de la belle langue française. Je crois que c’est à ce niveau que les jeunes auteurs doivent travailler mais si vous voyez le parcours panoramique de la littérature africaine d’expression française, il y a beaucoup de strates, de différences entre différents pays. Nous avons connu, par exemple au niveau de la Guinée, les classiques. Les Camara Laye, Djibril Tamsir Niane, Nénékhaly Condetto dans le domaine de la poésie ; Seydou Conté dans le domaine poésie ; Fodé Lamine Touré dans le domaine de la poésie. Les deux derniers, c’était des gens sortis du quartier latin, Césairiens, Senghoriens, qui ont tous travaillé au niveau de la maison d’édition Présence Africaine. Ils ont publié des recueils de poésie de très grande qualité. Nous assisterons aussi à une rupture avec l’émergence de ce que j’appelle la littérature événementielle et fugitive dirigée à l’époque par le président Sékou Touré. C’était une sorte de scribomanie pour faire valoir sa politique culturelle, dans le pays. Cette rupture a permis au PDG (Parti démocratique de Guinée) du Président Sékou Touré d’enseigner dans les écoles que des tomes. On enseignait des tomes aux jeunes élèves. Après 1954, nous avons assisté à une renaissance à la liberté d’expression engendrée après un coup d’Etat militaire dirigé par Lansana Conté. Donc, il y a eu cette renaissance littéraire après la prestation de Camara Kaba 41. Il était un militaire, un commandant de l’Armée guinéenne qui était un très grand poète et qui reste pour moi, l’un des plus grands poètes de la Guinée. Il a publié «Sois et Luttes».

A quel moment le ressort s’est-il cassé ?

Chez nous, le ressort s’est cassé mais pas au Sénégal. Vous aviez le Président Léopold Sédar Senghor ici avec toute l’intelligentsia sénégalaise. Au Sénégal, la littérature marchait bien. De 1960 jusqu’à l’avènement d’Abdou Diouf au pouvoir, le Sénégal consacrait 21 ou 22% de son budget à la culture. Chez nous aussi, la culture était très développée. J’ai oublié toute à l’heure de vous parler de Keita Fodéba qui est d’ailleurs le précurseur qui a publié chez Présence Africaine et qui a crée les Ballets africains. A partir d’ici, il y a une sénégalaise qui était très bien connue ici qui dansait dans le groupe de Keita Fodéba. Tout a été fait à partir du Sénégal. Il y a eu chez nous la rupture parce que le 2 août 1968, le PDG a décidé de créer ce qu’on appelle la révolution culturelle socialiste. Quand vous prenez les différents genres culturels, le théâtre, le tam-tam, le sport, le football, tout ça s’est développé. En Guinée, ça a bien marché mais en matière d’écriture, il y a eu une rupture totale parce qu’il y a qu’une seule plume, que je juge de schizomanie du Président Sékou Touré, qui était valable d’autant qu’il y a beaucoup d’anecdotes autour de cela. Le Pr Sékou Mouké Yansané qui était un professeur de Lettres et aussi Sénainon Béhanzin ont eu des histoires avec les commandes scolaires. Sénainon Béhanzin qui est un Béninois qui était venu en Guinée à la faveur du départ des enseignants français de Guinée comme David Diop, et tant d’autres Josepbh Ki-Zerbo, a dit que c’est Sékou Mouké Yansané qui a commandé Dramous. Il s’agit d’un livre qui expliquait comment la Guinée allait être. C’est un livre de Camara Laye qui est très intéressant pour la Guinée aujourd’hui. Il accusait ce professeur. Ça a été un grand combat et ce fût un grand exemple. Donc, il y a eu cette rupture entre cette littérature classique et celle révolutionnaire. Dès 1968-1970, on a connu que ça jusqu’en 1984 et la rupture a été une mauvaise chose pour la littérature guinéenne puisqu’on n’enseignait plus l’anglais aussi en classe. Donc, on voulait affirmer la révolution culturelle socialiste comme cela fût à Kinshasa de Mobutu. Même si au Zaïre (actuelle Rd Congo), ce n’était pas une rupture puisqu’il n’était pas engagé à écrire, bien qu’il fût journaliste. Mais en Guinée, c’est le président Sékou Touré qui écrivait des tomes et ces tomes étaient enseignés dans les écoles. Deuxièmement, en 1970-1972, Alioum Fantouré va sortir ce livre fabuleux «Le Cercle des Tropiques» qui mettait en exergue l’existence des guides providentiels en Afrique. Certains chefs d’Etat africains qui se prenaient pour les guides providentiels et ensuite il est suivi par William Sassine, Sony Labou Tansi, Thierno Monénembo qui est, aujourd’hui, le dernier des Mohicans. Il est le seul survivant de cette génération. Cette littérature marche très bien dans le cas de la Guinée. Au Sénégal, ce ne fût pas le cas. Senghor, ses classiques, Birago Diop, Sembène Ousmane et Cheikh Hamidou Kane -je crois que de cette génération, c’est le seul vivant – il n’y a pas eu de rupture. Il y a eu une autre génération qui est venue, notamment celle de Boubacar Boris Diop. Ce qui est fondamental, c’est ce livre fabuleux qui va paraitre avec Mariama Ba, «Une Si Longue Lettre» qui marque aussi l’intrusion des femmes dans la littérature africaine d’expression française ici au Sénégal. Il y a aussi Aminata Sow Fall avec «La Grève de Bàttu», «Le Jujubier du Patriarche», «Le Revenant» et aussi Mariétou Mbaye avec «Le Baobab». Elle a son nom d’écrivain Ken Bugul. Du côté du Congo Brazzaville, il doit y avoir Léontine Tsbinda qui vit d’ailleurs aujourd’hui au Canada. C’était très intéressant pour le Sénégal. Le Sénégal est resté dans ce rythme puisque ces auteurs sont extrêmement constants. Aujourd’hui, il y a cette dame qui vit en France qui fait de belles choses pour la littérature africaine, Fatou Diome.

Un autre problème auquel nous sommes confrontés, c’est que les jeunes ne lisent plus. Qu’est-ce qu’il faut pour leur redonner le goût de lecture ?

Il faut commencer à l’école primaire le goût de la littérature et prouver à ces enfants que le papier reste toujours valable. Ils ne lisent pas. Ils ne vont pas dans les bibliothèques. Je sais qu’ici, il y a des réseaux qui sont assez importants et les pouvoirs publics doivent continuer à travailler dans ce sens en ouvrant des bibliothèques et dans ces bibliothèques-là, il faut créer des sortes de médiathèques. Parallèlement les médiathèques, autant ils lisent les livres, autant ils peuvent aller sur la télévision ou bien sur l’Internet dans ces bibliothèques. Il faut commencer très tôt à bas âge.

Recueillis par Mariame DJIGO

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